Publié le 27 juin 2019 par Marc Gozlan
C’est une histoire tragique que des toxicologues strasbourgeois ont rapporté le 25 mai 2019 dans La Revue de Médecine Légale. Le corps sans vie d’un homme de 31 ans est découvert au domicile d’un de ses amis. Le cadavre, vêtu uniquement d’un string, git à plat ventre sur le sol du salon, la tête reposant sur le canapé. Les gestes de réanimation, réalisés par son ami, avaient été vains.
Des stupéfiants, du matériel pour « sniffer », des bouteilles d’alcool et des sextoys sont découverts près du corps. Le scanner, l’examen post-mortem et l’autopsie montrent des signes témoignant d’un syndrome asphyxique associé à un œdème pulmonaire massif.
Les produits trouvés à proximité du défunt sont du 4-MEC (4-méthyléthylcathinone) et du GHB (acide gamma-hydroxybutyrique). Il s’agit de substances associées au chemsex. Ce terme, contraction de chemical et sex, provient de la culture gay anglo-saxonne. Il désigne des pratiques de consommation de substances psychoactives dans le cadre de relations sexuelles. Celles-ci visent à augmenter l’intensité et la durée des plaisirs charnels, tout en facilitant la désinhibition des partenaires.
Nouveaux produits de synthèse
Le recours à une grande variété de psychotropes, licites ou illicites, à des fins sexuelles n’est pas un phénomène nouveau, ni l’apanage de la communauté homosexuelle masculine. Cependant, plusieurs travaux ont décrit un développement depuis une dizaine d’années de la consommation de drogues en contexte sexuel dans la population des hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (HSH). Ceci aussi bien en France que dans d’autres pays. Cette tendance est contemporaine de l’émergence de nouveaux modes de rencontres (sites Internet, applications mobiles géolocalisées), de drogues d’apparition récente, notamment les nouveaux produits de synthèse (NPS). Lorsque l’injection de stimulants se fait par voie intraveineuse dans le cadre de relations sexuelles, on parle de slam.
Les substances les plus fréquemment utilisées dans un contexte de chemsex sont le GHB ou GBL (gamma-butyrolactone, métabolisé en GHB par l’organisme), les cathinones de synthèse (méphédrone, 4-MEC et 3-MMC) ainsi que la cocaïne et les médicaments de performance sexuelle que sont le Viagra (sildénafil) et le Cialis (tadalafil).
Polyconsommation
Comme l’indiquent Alice Ameline, Pascal Kintz et leurs collègues de l’Institut de médecine légale de Strasbourg, le GHB, qui était la substance la plus répandue jusqu’à aujourd’hui, est aujourd’hui remplacé par le GBL, produit moins cher et aisément disponible dans l’industrie. Quant aux cathinones, ces substances possèdent des caractéristiques proches de celles des amphétamines. Celles-ci sont fréquemment utilisées car facilement accessibles sur Internet et bon marché (entre 10 et 20 euros le gramme).
Ces substances sont parfois consommées simultanément, l’association de plusieurs produits stimulants ayant pour effet d’entraîner des sensations d’euphorie et d’augmenter l’excitation et l’endurance sexuelle.
Cette polyconsommation peut provoquer des nausées, des vomissements, des troubles du rythme cardiaque, des vertiges, voire une perte de connaissance. Il existe par ailleurs un risque d’addiction. Enfin, en cas de surdosage, l’intoxication aiguë peut être mortelle, comme l’atteste ce cas d’intoxication fatale au GHB, associé à la 4-MEC et à l’alcool, rapporté par les spécialistes strasbourgeois.
GHB : concentrations très toxiques
Les nouvelles substances psychoactives ont été recherchées dans le sang de l’individu décédé par chromatographie liquide couplée à une spectrométrie de masse. Le GHB sanguin a été retrouvé à des concentrations très toxiques (172 mg/L), témoin d’une importante consommation peu de temps avant le décès.
L’analyse du sang périphérique a également montré une concentration potentiellement mortelle de 4-MEC à 507 ng/mL, mais qui ne reflétait pas pour autant sa valeur au moment du décès. En effet, la 4-MEC est un composé instable qui se dégrade spontanément au fil du temps, même lorsque les tubes de sang sont conservés au réfrigérateur. Cette drogue peut ainsi être indétectable après deux semaines. Or, du fait que les analyses toxicologiques ont été réalisées près de quatre semaines après l’autopsie (pour des raisons purement administratives, signature de devis), le taux de 4-MEC devait être plus élevé au moment du décès.
Par ailleurs, l’alcoolémie était de 0,58 g/L, ce qui indique qu’il y a eu consommation peu de temps avant le décès. Enfin, l’analyse des cheveux n’a pas permis de mettre en évidence de 4-MEC. Cette absence est très en faveur d’une première exposition à la molécule dans les semaines précédant le décès, font remarquer les auteurs. Selon eux, « il s’agissait probablement d’un sujet débutant dans cette pratique ».
Une pratique qui se banalise
Ce cas souligne que la prise de drogues dans un contexte sexuel peut avoir des conséquences dramatiques. Cette pratique est « dangereuse, alors même que le phénomène de chemsex se banalise. Il ne s’agit plus d’une situation marginale, comme en atteste l’augmentation des cas de décès », déclarent les auteurs. Et de souligner qu’une « première et unique consommation de 4-MEC peut être fatale, en association avec du GHB et de l’alcool ».
Même lorsqu’elle n’est pas mortelle, la pratique du chemsex expose à des risques graves, comme le montre une observation clinique rapportée en décembre 2018 par des médecins du Centre d’addictovigilance du CHU de Montpellier. Celle-ci concerne un homme de 56 ans, séropositif pour le VIH, ayant consommé de la cocaïne par voie nasale durant de nombreuses années et de la 3-MMC (cathinone de synthèse) par voie intraveineuse depuis plus d’un an.
Un mois après avoir commencé à utiliser ces substances psychoactives dans un contexte sexuel (slam), le patient a présenté une sévère infection oculaire. La dégradation de son état, malgré les traitements antibiotiques, avait nécessité l’ablation chirurgicale de l’œil gauche.
Marc Gozlan (Suivez-moi sur Twitter, sur Facebook)
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Le chemsex en chiffres
Au sein de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), les dispositifs TREND (Tendances récentes et nouvelles drogues) s’intéressent aux groupes consommateurs de produits psychoactifs. Les pratiques de chemsex ont été signalés pour la première fois à Lille et Metz en 2017. Depuis, des observateurs lyonnais, bordelais et parisiens ont découvert « le caractère de plus en plus décomplexé des échanges autour des pratiques de chemsex sur les réseaux sociaux ». Ceux-ci attestent de leur ancrage parmi les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (HSH) utilisant probablement les applications de rencontre dans ce but. En effet, les observateurs ont noté une visibilité accrue du trafic de produits consommés dans le cadre du chemsex sur les plates-formes de rencontre en ligne. En région parisienne, il a été observé l’émergence de profils spécifiques d’usagers-revendeurs faisant l’acquisition de grandes quantités de substances destinées à être consommées en contexte sexuel et proposées à la revente en ligne.
24 décès en 10 ans
Le centre d’addictovigilance de Paris a récemment analysé tous les cas de chemsex recensés dans des bases de données entre janvier 2008 et août 2018. Cette étude a dénombré 235 cas, dont 24 mortels. Il s’agissait exclusivement d’hommes, âgés de 28 à 50 ans. Une augmentation du nombre de cas a été observée au fil des ans : « un cas en 2008, contre 50 au cours des 8 premiers mois de l’année 2017, avec une extension à l’ensemble des régions et dans toutes les tranches d’âge ». Une consommation simultanée de plusieurs produits a été retrouvée dans 64 % des cas, principalement en association avec le GHB (dans environ un cas sur cinq).
L’augmentation récente du nombre de décès suit la forte progression de la consommation. Parmi les produits utilisés, on constate une très grande variabilité dans la concentration en substance psychotrope. Ainsi, sur les 18 échantillons de 4-MEC collectés, la pureté du produit varie entre 13 % et 100 %. Les consommateurs ne sachant pas la teneur exacte en psychotropes des produits qu’ils achètent sur Internet, ils peuvent donc se trouver en surdosage sans même l’imaginer.
Enfin, une étude conduite par le service de pharmacologie et toxicologie du CHU de Garches (Hauts-de-Seine) a évalué la consommation de substances consommées dans la population des HSH par des analyses de cheveux. Une mèche avait été prélevée tous les quatre mois chez 69 volontaires. La 4-MEC a été identifiée 11 fois, ce qui place cette substance en deuxième position par ordre de fréquence. Une association de produits était systématiquement consommée, en particulier NPS-cocaïne (93 % des cas), NPS-ecstasy (74 %).
« Toutes ces données permettent d’avoir une vision nationale du phénomène de chemsex, qui apparaît être en plein essor depuis quelques années. Ces études servent d’outil de surveillance et doivent permettre d’alerter les instances de santé publique et d’appuyer les programmes de réduction des risques et de prise en charge », concluent les toxicologues de l’Institut de médecine légale de Strasbourg.
Pour en savoir plus :
Ameline A, Blanchot A, Arbouche N, Raul JS, Kintz P. Aspect toxicologique d’un phénomène en plein essor : le chemsex. Description d’un cas médico-légal aux conséquences fatales, impliquant la 4-MEC. La Revue de Médecine Légale. Available online 25 May 2019. doi : 10.1016/j.medleg.2019.05.001
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Allard S, Deslandes G, Visseaux G, Nicolet L, Rabiller P, Victorri-Vigneau C, Jolliet P, Monteil-Ganière C. 4-MEC et ChemSex : quatre cas dont un mortel. Therapies. 2017 Feb;72(1):156. doi: 10.1016/j.therap.2016.11.023
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Sur le web :
Livret d’information « Chemsex » – Respadd
Chemsex, le péril (jeune) gay (IREPS Auvergne-Rhône-Alpes, juin 2019)
APACHES – Attentes et PArcours liés au CHEmSex (OFDT, mai 2019)
Renouvellement des usages de drogues en contexte sexuels parmi les HSH. (OFDT, juillet 2017)
Chemsex & Slam (Fédération Addiction) https://www.federationaddiction.fr/app/uploads/2014/10/Atelier2_Respadd.pdf
Grégoire M. Slam, chemsex et addiction sexuelle. Psychotrope. 2016;22(3-4) 83-96.